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L'Institut de la Mémoire Européenne
LES IDENTITÉS INDIVIDUELLES, LES IDENTITÉS COLLECTIVES :
NOUVELLES INTERROGATIONS
Tarik HAVERIC
La première partie du titre de ce symposium tel que proposé par
les organisateurs offre de multiples possibilités dans de divers
domaines : nombreuses sont les recherches dans les sciences sociales
contemporaines qui ont trait d'une manière ou de l'autre à l'identité
ou à l'État, sans parler de la religion ou de la laïcité. C'est
donc à la deuxième partie du titre qu'incombe de cerner l'objet
ou les objets de notre intérêt. Sa fonction est nettement restrictive,
puisqu'elle désigne un espace défini, l'Europe, et une certaine
époque, la plus récente, qui a commencé avec la chute du mur de
Berlin. "La chute du mur de Berlin" étant une expression appartenant
au langage imagé, il nous faut d'abord procéder par déterminer
son sens.
Qu'entend-on par cette métaphore, et pourquoi cet événement est-il
appelé à faire date dans l'histoire contemporaine ? Des milliers
de pages sont écrites sur ce sujet, et des dizaines d'approches
et de grilles d'analyses proposées dont certaines s'excluent mutuellement.
Le débat est loin d'être clos, et on ne peut raisonnablement espérer
trouver une réponse sans équivoque. Celle que je propose n'est
donc plus qu'une hypothèse heuristique la chute du mur marque
la défaite, dans le temporel, d'une idéologie collectiviste ponctuelle.
Cette défaite n'est pas complète, puisqu'il y a encore, depuis
la Chine et le Viêt-nam jusqu'à Cuba, des sociétés qui s'en réclament,
mais on peut croire qu'en Europe au moins elle est irrévocable.
L'idéologie en question a été combattue et finalement vaincue
au nom des droits de l'homme. Un point de départ tout à fait légitime
consisterait donc de considérer la chute du mur comme un tournant
décisif sur la voie de l'émancipation de l'individu. Pourtant,
l'observation des processus consécutifs apporte justement les
preuves du contraire: les sociétés qui naissent des décombres
ne font que substituer d'autres collectivismes à celui prétextant
la suprématie de la classe ouvrière. Le communisme lui-même n'est
pas considéré comme foncièrement injuste ni son effondrement comme
souhaitable à cause du statut de l'individu ni des rapports sociaux
qu'il impose, mais à cause des formations étatiques auxquelles
il a donné naissance. Dans la pratique, « La chute du mur de Berlin
» a introduit l'éclatement étatique de l'Union Soviétique, de
la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie (pour l'instant) plutôt
qu'il n'a marqué la transformation démocratique de cette partie
de l'Espace européen. C'est pourquoi elle peut être considérée
comme la métaphore de la défaite d'une idéologie collectiviste
parmi les autres, et non pas la fin des collectivismes tout court
qui auraient cédé la place aux individus libres et responsables.
Les nouvelles idéologies collectivistes ont un point commun: la
validité abstraite des droits de l'homme n'est nullement remise
en question. Aucune théorie politique qui aurait consacré un nouveau
sujet collectif (ethnie, nation, religion) tenant lieu de la feue
classe ouvrière n'a été formulée, les revendications dites identitaires
se fondent apparemment sur la volonté librement exprimée des individus
de ne faire qu'Un. Que de nouveaux assujettissements peuvent se
légitimer par l'exercice des droits individuels dont une interprétation
abusive est offerte, appelle à repenser de toute urgence les interrogations
sur l'identité ou l'État qui s'imposent avec ceux-ci. Le propos
de la présente contribution est donc d'établir une nouvelle problématique
et de définir ses conditions-limites plutôt que de proposer des
réponses. Une telle réflexion est forcément abstraite; toutefois,
pour illustrer la pertinence de ces nouvelles interrogations et
leur intérêt pratique, je me permets de renvoyer occasionnellement
à des situations concrètes du passé récent des Balkans qui les
suscitent.
1. Le sujet des droits de l'Homme est l'individu abstrait, construction
purement logique; l'Homme susceptible de jouir de ces droits est
dépourvu de toute particularité et conçu hors de tout contexte
historique ou social, sans aucun lien avec ses pairs. C'est leur
qualité plutôt que leur défaut, puisqu'ils résument ce que les
hommes ont tous en commun sans pouvoir être identifié à aucun.
Les enseignements philosophiques et moraux qui sont à l'origine
des droits de l'Homme ainsi que les actes constitutifs des sociétés
démocratiques représentant leur expression juridique, évoquent
d'une façon ou de l'autre la dignité de la personne - et non pas
de quelque groupe que ce soit - comme dernière valeur référentielle.
Il s'ensuit que l'identité primaire, ou l'identité tout court
est l'identité irréductible de chaque individu, qui le rend unique
et irremplaçable. Dans le langage courant, pourtant, on assimile
le plus souvent l'identité à l'appartenance à un groupe (linguistique,
religieux, ethnique): ce n'est jamais ce qu'un individu ne partage
avec personne , mais au contraire ce que plusieurs individus ont
en commun. Le premier pas consisterait donc à réaffirmer ce sens
fort de « l'identité », au détriment de son sens faible mais prédominant.
2. Ensuite, il faut se rendre à l'évidence : appartenir à un gr |