Accueil
L'Institut de la Mémoire Européenne
L'INTOLÉRANCE DES ÉTATS NATION ENVERS
LES MINORITÉS ETHNIQUES ET RELIGIEUSES
Panayote Elias DIMITRAS
Il est évident, que lorsqu'un représentant d'une organisation
des Droits de l'Homme, prend la parole sur ces affaires, il tiendra
un discours un peu diffèrent de ceux qui ont précédé. Je vais
essayer surtout de vous montrer par une série d'informations que
les choses ne vont pas en s'améliorant, mais tout au contraire.
En ce qui concerne le sujet de ce colloque qui est la liberté
d'expression, la laïcité, la liberté religieuse et le droit des
minorités. Je vais commencer par trois exemples, très récents,
qui proviennent de Grèce, et de très hautes autorités. Le 23 octobre
1997, il y a donc quelques jours, il y a eu au Parlement grec
un débat sur le nouveau manuel d'histoire de la première année
du lycée, intitulé: "Les contributions culturelles de l'Hellénisme
dans le monde". C'est un manuel très ethno-centrique. Ce n'est
pas le manuel lui même qui est en question ici. Pendant ce débat,
toutefois, le très autorisé ministre de l'éducation, en répondant
à un député de la Coalition de gauche, qui citait un historien
qui avait critiqué ce livre, a dit: "on ne peut pas être historien,
quand on soutient qu'il n'y avait pas de nation grecque, de conscience
nationale grecque dans l'antiquité".
Quelques semaines avant, le Président de la République grecque,
en visite au Mont Athos a parlé du "louche Occident", qui conspire
contre la Grèce, et il a expliqué que cela ce passe parce que
"Les papistes et les protestants" ne veulent pas reconnaître la
contribution culturelle de l'Hellénisme et de l'Orthodoxie dans
le monde".
Un mois avant, le même Président avait tenu des propos fort virulents,
je pense que cela doit être mieux connu ici en Macédoine: "Les
Macédoniens n'existent pas comme nation séparée, c'est des Bulgares
qui ont usurpé l'histoire, et le nom de la Macédoine". Tout cela,
nous montre, que dans les niveaux les plus autorisés de la Grèce,
qui est quand même un pays qui ne vient pas de sortir du communisme,
et donc qui a moins d'excuses d'être intolérant, il y a une mentalité
très xénophobe, envers ce qui est diffèrent.
Partout, dans les Balkans, et ailleurs, il y a des problèmes avec
les minorités, mais dans les Balkans du sud où nous sommes, les
problèmes sont plus graves au niveau institutionnel, et c'est
pour cela que j'insiste sur le rôle de l'État. Puisque en principe,
ailleurs les minorités sont reconnues, même si la reconnaissance
n'est pas suffisante pour qu'elles jouissent de tous leurs droits.
Mais chez nous, très souvent elles ne sont même pas reconnues.
La fameuse Convention "Cadre du Conseil de l'Europe" est en train
d'être adoptée par les pays de la région, avec des déclarations
à la fin qui limitent son application sur certaines minorités
seulement, celles reconnues par ces États.
La Grèce vient de la signer, et on nous a signalé que, bien sûr,
et bien évidemment, elle ne s'appliquerait qu'à la minorité musulmane,
puisque c'est la seule que l'on reconnaît avec ce nom-là.
La Bulgarie fait de même: elle fournit une liste des minorités
qui exclu la minorité macédonienne, qui, selon les Bulgares n'existe
pas. Tout comme la Macédoine qui, quand elle a adopté et ratifié
la Convention, a annoncés qu'elle ne s'applique qu'aux minorités
qui sont plus ou moins connus ici, mais qui excluait tous ceux
qui dans ce pays veulent se considérer par exemple "Bulgares",
et ainsi de suite.
En Grèce, nous avons aussi des minorités qui sont reconnues: je
viens d'en citer une, reconnue comme religieuse, tandis qu'elle
voudrait bien être reconnue comme ethnique; il s'agit des Turcs
de Grèce, qui ne sont reconnus que comme Musulmans. Les Grecs
de Turquie aussi ne sont reconnus que comme Orthodoxes. Il y a
des minorités qui ne sont reconnues que seulement dans un coin
du pays: par exemple en Albanie, les Grecs et les Macédoniens
n'existent officiellement qu'au sud, et peut-être dans les villages,
mais pas dans les villes.
Mais je vais vous parler davantage du problème de la liberté de
religion puisque c'est quand même le sujet de ce colloque. La
nouvelle loi sur les religions en Russie est assez connue en général.
Mais ce qui est moins connu, et que je voudrais quand même partager
avec vous. C'est que c'est une loi, qui non seulement veut limiter
la liberté de tout ce qui apparaît comme nouveau en Russie, mais,
pour citer un représentant d'une ONG : "c'est plutôt une loi qui
ne protège pas la tradition, mais elle protège le Stalinisme,
puisque elle protège seulement les religions qui ont été loyales
envers l'État soviétique".
C'est l'Anglais Lawrence Uzzell du Kensington Institute qui est
un des observateurs de la liberté religieuse en Russie. Et pour
expliquer ce qu'il veut dire, je cite maintenant Lev Levinson
qui fait parti du groupe des conseillers sur les Droits de l'Homme
du Président, qui dit que cette loi est conçue pour marginaliser
les catholiques et les protestants, mais qu'elle donne une occasion
a l'Église officielle le Patriarcat de Moscou de se débarrasser
des autres Églises orthodoxes alternatives, comme l'Église, je
le dis en Anglais parce que je suis pas sûr comment ça se traduit
en Français le : " True Orthodox Church" et l'Église Orthodoxe
Ukrainienne qui est présente dans quelques coins du territoire
Russe.
La loi n'est pas la seule, je vais en citer des exemples similaires
dans le sud des Balkans. Je commence avec la Serbie, pour citer
le rôle de plusieurs religieux de l'Église orthodoxe dans la guerre,
un rôle qui était, d'apporter de l'eau au moulin de ceux qui faisaient
la guerre en ex-Yougoslavie. Très récemment il y a eu un texte
de soutien à Karadjic, un texte très anti-occidental avec parmi
les soixante signatures, celle du Patriarche Pavle. Je remarque,
dans ce qui est moins connu, en citant surtout mes collègues qui
s'occupent du projet "Face a Face" financé par l'Union Européenne
sur les libertés religieuses, en Bulgarie, en Roumanie et en Macédoine,
qu'en Bulgarie la moitié des Églises, ou plutôt des religions
ne sont pas reconnues, et n'étant pas reconnu, elles ont tous
les empêchements que vous pouvez imaginer.
La Bulgarie vient d'être citée par la Cour européenne de Justice,
pour la violation du droit des "Témoins de Jehovah" d'être inscrits.
En 1996, par exemple le congrès même des "Témoins de Jehovah"
a été interdit. Ce n'est pas seulement les Églises, disons nouvelles,
mais les cultes anciens, aussi soumis à l'intolérance: une mosquée
n'a pas été permise d'être construite à Skoffo, une école Musulmane
a été fermée à Rousse.
Passons à la Roumanie, où on avait toujours l'impression que les
problèmes étaient moins graves. Mais il y avait une tradition
depuis l'ancien régime, qu'un grand nombre de groupes religieux
était interdits, et n'était pas reconnu. Dans le nouveau régime
sans être reconnus, ils ont été tolérés et puis, avec des problèmes,
par exemple: en 1996 à la demande de l'Église officielle orthodoxe,
le Congrès mondial des "Témoins de Jehovah" a été interdit en
Roumanie, et cela a été suivit par une campagne virulente dans
les médias contre cette Église. Mais très récemment avec un décret
du 25 mars 1997, l'État interdit de bâtir des nouveaux lieux de
culte, à tous les groupes religieux qui ne sont pas inscrits et
reconnus: donc cette tolérance des non-inscrits commence à arriver
à sa fin.
Nous sommes en Macédoine, où ce pays vient d'adopter une loi sur
les religions, qui pour citer quelqu'un quand nous étions là en
avril a une mentalité autoritaire qui rappelle l'ancien régime,
plutôt que le nouveau: cet autoritarisme concerne toutes les religions,
y inclue la religion orthodoxe, puisqu'il donne d'énormes pouvoirs
à la "Commission des Affaires Religieuses", et on ne peut pratiquement
pas faire grand-chose sans son permis. Surtout, il y a de nouveau
une différence entre les communautés religieuses, et les groupes
religieux. Les groupes religieux auront beaucoup plus de peine
que les communautés religieuses à faire quoi que ce soi sans être
autorisés. Ce n'est pas une autorisation qu'ils auront facilement.
Revenons à la Grèce, rappelez-vous qu'une fois tous les deux mois
en moyenne, la Cour européenne de la Justice condamne la Grèce
pour violation, soit directement de l'article 9 relatifs à la
liberté religieuse, ou indirectement quand on arrive par d'autres
articles, sur les affaires de Témoins de Jehovah, et maintenant
on attend le jugement sur les Catholiques et les Protestants,
parce que finalement la Grèce qui est la plus ancienne dans la
Cour Européenne des Droits de l'Homme, est aussi intolérante que
les nouveaux pays qui y accèdent.
Je diffère un peu de mon compatriote qui a parlé hier, sur le
fait que c'est la religion d'État qui conduit à l'intolérance,
non pas la religion elle-même. Oui, je suis d'accord si on se
limite aux textes, mais si on passe aux représentants des religions,
je dois vous rappeler, et là, je parle pour les Grecs maintenant,
parce que quand même, ce furent les prêtres, ou plutôt les évêques,
voire l'archevêque qui a mené la campagne contre la reconnaissance
de la Macédoine qui était en tête des manifestations monstrueuses
d'une autre ère. Elles ont pourtant eu lieu, il y a quelques années
à Athènes, et à Salonique, et ce clergé a prononcé des mots qui
n'a rien à faire avec ce qui est prétendu être l'amour des Chrétiens
pour les autres Chrétiens. Parce qu'après tout, les Macédoniens
sont aussi chrétiens et orthodoxes.
Ils ont aussi mené le combat pour l'autonomie de l'Empire du Nord,
ou l'Albanie du Sud, et cela est quelque chose de très récent
pour montrer combien l'État répond à la religion dominante, qui
est le problème partout dans les pays de l'Europe de l'Est, et
du Centre.
Le fameux Article 19, du code de la citoyenneté en Grèce, qui
permet de perdre la citoyenneté quand on est minoritaire, est
appliqué contre les Turcs en Thrace. Le gouvernement, à quatre
reprises avec ses Ministres des Affaires étrangères a annoncé
qu'il allait l'abolir. Et quand l'évêque de Komotini a envoyé
une lettre, en dénonçant le Ministre des Affaires Étrangères,
comme ennemi de la nation, il vient de recevoir, juste il y a
dix jours une lettre du Ministère de l'Intérieur qui est compétent
sur le sujet, et qui est le premier dans les rangs du gouvernement,
en lui disant : "Monseigneur excusez-moi, notre ministre n'a jamais
pensé à changer cet article". Je vous remercie.
Skopje 28 octobre 1997 |